Paris 2024 : les olympiades sécuritaires du gouvernement

À moins de deux ans des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, et à un an de la Coupe du Monde de masculine de rugby présentée comme une sorte de « répétition générale » d’un grand événement sportif en France, où en sommes-nous des projets sécuritaires des décideurs publics ?

Les Jeux Olympiques de 2024 sont un accélérateur de surveillance, un prétexte pour déployer une vitrine sécuritaire des industriels français, qui contribue à renforcer les prérogatives et le nombre des agents de sécurité. Le sécuritarisme qui entoure les JO ne sera pas circonscrit à ces derniers, « l’Héritage » de sécurité des JO est déjà prévu par le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO). Objectif : faire perdurer les investissement déployés pour les JO et la Technopolice qui vient avec. C’est ce qu’on nomme « l’effet cliquet » c’est-à-dire qu’un événement particulier justifie des mesures exceptionnelles qui, ensuite, ne seront plus remises en cause et sans retour en arrière possible.
Après avoir fait un premier état des lieux de cette frénésie sécuritaire, les nombreuses et récentes annonces concernant les Jeux Olympique imposaient une mise à jour des velléités du gouvernement.

Les Jeux olympiques, le prétexte pour légaliser la vidéosurveillance algorithmique

Les grands événements sportifs sont depuis toujours des accélérateurs de surveillance et les Jeux Olympiques de Paris ne sont pas en reste. Quelle meilleure occasion pour tenter de faire rentrer dans la loi des dispositifs aujourd’hui illégaux ? Après avoir envisagé de légaliser la reconnaissance faciale pour l’occasion, c’est la vidéosurveillance algorithmique (VSA) qui semble avoir été choisie par les organisateurs.

Ainsi, comme l’a annoncé le ministre Darmanin lors d’une audition au Sénat, au début de l’année 2023 une « loi sur les Jeux Olympiques » sortira des cartons. L’objectif sera de légaliser la vidéosurveillance algorithmique, c’est-à-dire la détection par logiciel d’événements et de comportements dits « suspects ». Une occasion pour les entreprises françaises de montrer leur savoir-faire en matière de répression, et pour le gouvernement de déployer une technologie encore illégale, mais dont les offres commerciales sont déjà très présentes. En même temps, une mission d’information de l’Assemblée Nationale auditionne des acteurs (entreprises privée comme Datakalab et organismes publics comme la CNIL, ou la Préfecture de police de Paris) sur « les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité ». On sent bien qu’il y a dans l’air une volonté d’accélérer et de de donner une assise légale à l’installation de ces technologies.

Or la VSA est tout aussi dangereuse que la reconnaissance faciale, toutes deux recourant à de l’analyse biométrique, c’est-à-dire à la détection de corps pour repérer ou identifier une personne, comme nous le développions ici ou comme le reconnaît le Défenseur des Droits. La légalisation de la VSA et donc les JO seront surtout l’occasion de déployer toujours plus de caméras de vidéosurveillance. Ainsi aux 4171 caméras de vidéosurveillance déjà déployées par la ville de Paris, l’Intérieur compte en rajouter pas moins de 1000, ainsi que 500 à Saint Denis et 330 à Marseille (où se dérouleront les épreuves nautiques). En tout, ce sont pas moins de 15 000 caméras supplémentaires qui vont être déployées pour les JO et la Coupe du Monde de Rugby, pour 44 millions d’euros via les “plans Zéro Délinquance”. La vidéosurveillance algorithmique et les Jeux sont une nouvelle occasion pour étendre le parc de surveillance de l’espace public.

Les Jeux sont aussi une étape pour travailler l’acceptation par la population de telles technologies. Ainsi, l’état d’exception créé par les Jeux olympiques permet de faire passer des lois sécuritaires qui resteront par la suite, comme l’explique Jules Boykoff. Depuis le début de la campagne Technopolice, des entreprises et villes de France expérimentent illégalement la VSA. L’opportunité que représentent les JO 2024 permet de passer à l’étape suivant : légaliser ces technologies, d’abord pour un grand événement exceptionnel, ensuite pour les généraliser. C’est tout ce travail d’acceptabilité, de réception sociale par la population de ces technologies qui se joue avec les Jeux Olympiques

Les autres projets du ministère de l’intérieur : de la répression pour les habitant·es d’île-de-France

Un centre de renseignement olympique, prévu par la loi olympique de 2018, a été créé courant 2022, regroupant les services de renseignements. Son objectif : « En collaboration avec la police judiciaire, les agences de renseignement vont aussi maintenir la surveillance de tout individu suspect et de groupes qui pourraient représenter une menace pour la sécurité nationale et le bon déroulement des Jeux. » est-il écrit dans le dossier de candidature de la ville.

La menace terroriste est abondamment évoquée pour justifier le déploiement de tout cet arsenal sécuritaire. Darmanin parle des « terroristes islamistes, de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche ». Et affirme que les renseignement feront un «  effort » en amont pour « maîtriser » ces personnes au moment des JO. Ce n’est pas sans rappeler la COP21 en 2015, où nombre de militants et militantes écolos s’étaient vus perquisitionnés, arrêtés pour certains et assignés à résidence peu avant le début de l’événement. A cette époque, le gouvernement avait profité de l’État d’Urgence pour mettre en place ces mesures répressives, depuis elles sont rentrées dans le droit commun.

Le ministre de l’Intérieur a par ailleurs annoncé lors de son audition au Sénat qu’il allait bientôt débuter un « plan zéro délinquance  » dont 3500 des 5500 opérations policières prévues se dérouleront en Île-de-France afin de « harceler et nettoyer la délinquance » dixit Darmanin. Comme c’est le cas lors de grands événements, l’État français en profite pour justifier un harcèlement des populations qui ont le malheur de vivre là où vont se dérouler les jeux…

L’enjeu de la sécurité privée pour les Jeux : polices partout

Dans cet article, le journaliste Thomas Jusquiame revient sur la naissance de la sécurité privée au XIXème siècle en France, où la police embauchait des mouchards, sorte d’auxiliaires de police chargés de les renseigner sur les agissements des malfrats parisiens. Et retrace l’institutionnalisation de cette sécurité privée jusqu’à aujourd’hui, où le Livre Blanc de la sécurité intérieure leur offre une consécration à travers le fameux concept de « continuum de la sécurité privée ». « Moralisée, intégrée, contrôlée, protégée, alimentée, organisée, la sécurité privée n’a jamais paru autant en harmonie avec les forces de répression régaliennes. » (ibid)

En ce qui concerne les JO, la peur d’un scénario similaire à celui du Royaume-Uni en 2012 plane. L’entreprise de sécurité privée mandatée par l’État les avait lâchés trois semaines avant le début des Jeux par manque d’agents et le gouvernement britannique avait dû recourir à l’armée. En France, à deux ans des JO et un an de la Coupe du monde de Rugby, les 25 000 à 30 000 agents de sécurité privée demandés par le COJO manquent toujours à l’appel.

La sécurité privée constitue donc un des grands enjeux de l’organisation de ces Jeux Olympiques. Se pose tout d’abord le problème du recrutement : le CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) tente de rendre ce métier attractif, à travers des formations payées par l’État, des appels personnalisés de tous les chômeurs et chômeuses d’île-de-France pour les convaincre d’entreprendre une formation, un ciblage des étudiants et étudiantes (ils semblent être en demande de personnel “féminin” pour réaliser les fouilles). La peur d’un manque d’agents se fait sentir.

Parce qu’aux difficultés de recrutement s’ajoute celle de la « menace intérieure », c’est-à-dire de personnes qui souhaiteraient intégrer les forces de sécurité pour nuire. A ce titre le SNEAS (Service national des enquêtes administratives de sécurité) prévoit de réaliser pas moins d’un million d’enquêtes administrative en vue des JO, dont la grande majorité concerneront le recrutement d’agents de sécurité privé. Car le COJO a d’ores et déjà annoncé en septembre 2022 avoir refusé entre 100 et 200 personnes fichées S. Une bonne manière de se rendre compte du fichage massif de la population. Darmanin propose même que dans ce projet de loi olympique soit inscrit le fait que les agents de sécurité privée puissent être dotés de caméras piétons.

Les Jeux olympiques confirment la tendance à l’intégration de la sécurité privée en tant que force de police institutionnalisée et bras armé de l’État. L’augmentation de ses effectifs et de ses prérogatives en vue des jeux olympiques s’incarne dans la tendance du tout-sécuritaire de l’espace public.

Des expérimentations aux appels d’offre : le perfectionnement de la souveraineté technopolicière française

Afin d’être sûrs que les technologies employées pour les jeux olympiques de 2024 fonctionnent, les industriels réalisent des expérimentations lors de divers événements sportifs dont la Coupe du Monde de Rugby de 2023, qui sera une sorte de répétition générale. Certaines ont déjà eu lieu mais nombre d’entre elles devraient encore être testées avant la fin de l’année 2022. Elles ont été mises en œuvre par les entreprises ayant répondu aux Appels à Manifestation d’Intérêt (AMI) uivants : « Dans le cadre d’un programme d’expérimentation de technologies par les services de sécurité du ministère de l’Intérieur. Les solutions recherchées portent sur des moyens de commandement, la vidéo dite “intelligente”, l’OSINT, la surveillance aéroportée ou encore la cybersécurité », le tout avec un budget de 21,5 millions d’euros, uniquement pour les tests. Au moins 80% de ces “solutions” seront françaises affirme fièrement le préfet Olivier de Mazières, délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux industries de sécurité (DPSIS) Déjà plus de 144 expérimentations ont été menées sur une cible finale de 180 expérimentations, et qu’elles ont mobilisé 131 sociétés identifiées comme françaises.
On pense à la reconnaissance faciale testée à Rolland Garros par Thalès, ou encore à la start-up Two-I qui avait voulu identifier les visages des personnes interdites de stade souhaitant rentrer au stade de Metz en 2020 et qui avait reçu un avertissement de la CNIL pour ce projet. Tout comme la coupe du monde au Qatar, le sport et ses supporters semblent être un terrain d’expérimentation privilégié de la technopolice. Coupe du monde où l’on retrouve des grands groupes français comme Thalès chargés de déployer des algorithmes de reconnaissance automatique de comportements anormaux…

Pour Paris 2024, des financements de la recherche, accordés aux expérimentations en amont puis aux tests grandeur nature lors des Jeux, permettent aux industriels de la technopolice de se perfectionner et de devenir plus compétitif au niveau international. Comme le montre Myrtille Picaud, les JO constituent une sorte de catalyseur pour structurer et renforcer la filière des industriels de la sécurité française. L’occasion est trop belle pour ces entreprises, que ce soit des multinationales comme Thalès ou des start-up comme Two-I ou XXII : le marché de la sécurité français leur est offert sur un plateau d’argent. Le champ est libre, du maintien de l’ordre et de la répression policière en France à la vente de ces armes technologiques à l’étranger.

Cette tendance au tout sécuritaire s’inscrit dans une augmentation sans vergogne de tous les budgets ayant trait à la sécurité, et aux technologies de surveillance. Tout comme le ministère de l’Intérieur voit son budget augmenter de pas moins de 15 milliards d’euros, l’inclinaison est similaire pour le budget sécurité des jeux olympiques. D’abord prévu à 182 millions d’euros, celui-ci est passé à 295 millions d’euros et risque de s’accroître encore. Pas de fin de l’abondance pour la surveillance et la répression !

Les JO 2024 apparaissent comme un accélérateur de surveillance et de tendances sécuritaires déjà présentes. Ils représentent une “occasion”, un prétexte, comme bien d’autres méga-événements auparavant, afin de justifier le déploiement de mesures présentées comme exceptionnelles. Mais ces choix s’inscrivent en réalité dans une logique de long terme, destructrices de droits mais aussi de mode de vie, d’habitat, d’environnement, comme le démontre depuis plusieurs années maintenant le collectif Saccage 2024.
Ces derniers appellent à un rendez-vous le dimanche 11 décembre, devant le siège du COJO, la veille du conseil d’administration, pour “faire la fête” au Comité d’Organisation des JO et leur montrer notre désaccord autour d’un goûter. Plus d’info ici. Luttons contre les JO et le monde sécuritaire qu’ils amènent avec eux !