Les caméras anti-pollution du printemps marseillais

Cet article est paru dans le journal marseillais satirique le Ravi, disponible ici

Il est des moments où, même dans une campagne électorale, les tensions et oppositions s’effacent. L’un est socialiste, l’autre est écologiste. Ils sont dans la même équipe mais ne roulent pas pour le même candidat. Et pourtant, sur ce dossier, ils se sont retrouvés. Comme l’ont annoncé conjointement l’adjoint à la transition écologique Sébastien Barles et son collègue en charge des questions de sécurité Yannick Ohanessian, « la mairie de Marseille s’engage avec Heawei/BrifCam pour une ville plus intelligente et avance des solutions pour garantir la santé des Marseillaises et Marseillais, par la réduction de la pollution atmosphérique ». Ainsi, forte de l’implantation de 1600 caméras de « vidéoprotection », la municipalité souhaite les utiliser pour analyser, mesurer et détecter le non respect de la future zone à faibles émissions qui sera mise en place en septembre 2022.

L’achat de la solution Koalemos fait partie du premier volet du plan Marseille en Grand, annoncé par Emmanuel Macron en septembre 2021. Pour le Printemps marseillais, il s’agit de rendre plus efficiente l’utilisation du parc de 1600 caméras héritées de la précédente municipalité. En effet, alors qu’une surveillance humaine du respect de cette future zone mettrait une pression sur les forces de l’ordre et les opérateurs municipaux, une vidéosurveillance intelligente permettra en temps réel de mieux cibler les opérations de terrain.

Si l’élu écolo a répondu « pourquoi pas » à l’hypothèse de voir ces caméras alimentées par des mini-panneaux solaires, son collègue à la sécurité a, lui, détaillé comment ce programme de vidéosurveillance automatisée incorpore des fonctionnalités de vidéo-verbalisation des plaques d’immatriculation non conformes aux vignettes Crit’air.

De quoi réjouir les riverains de la Plaine : une expérimentation semble possible sur la place Jean-Jaurès, en partenariat avec AtmoSud, pour que les caméras puissent à la fois verbaliser les deux roues traversant la place mais aussi mesurer la pollution qu’ils génèrent. Une mesure qui pourrait être étendue aux feux de poubelle du Carnaval ? Ohanessian, paraphrasant un préfet, rétorquera : « C’est bientôt fini la bamboche ! »

Plus sérieusement, le dispositif Koalemos propose également, en condensant des heures de vidéos en quelques minutes, de pouvoir faire du suivi de personnes en fonction d’attributs (femme, homme, sac, chapeau, couleurs d’habits). La préfecture souhaite donc utiliser ces fonctionnalités, notamment dans le cadre de rencontres sportives pour détecter les supporters des équipes adverses, afin de faciliter le travail des forces de l’ordre pour assurer la sécurité.

En effet, en août 2020 suite à des agressions quelques jours avant la finale de la Champions League qui opposait le Bayern Munich au PSG, la préfecture avait dû retirer son arrêté qui interdisait le port du maillot du PSG, face à l’incompréhension des supporters. Cette nouvelle fonctionnalité du programme Koalemos permettra donc de ne plus interdire de maillot lors de rencontres sportives tout en préservant la tranquillité publique. Tout supporter portant un maillot suspect sera suivi en toute discrétion et à son propre insu par le réseau de maillage dense des 1500 caméras de la ville (à laquelle s’ajouteront bientôt les 500 caméras offertes par notre cher Grand président).

Bien évidemment, tout ceci se fera dans le respect et conformément à la protection des données personnelles puisque l’élu à l’Open Data, Christophe Hugon, a d’ores et déjà prévu la publication des jeux de données de toutes les personnes vidéo-surveillées par les caméras marseillaises, anonymement. En effet, la ville a tellement d’avance là-dessus qu’elle n’a même plus besoin de répondre aux demandes citoyennes d’accès aux documents administratifs (demandes Cada) comme l’exige la loi. La ville utilise un logiciel nommé « BetterThanCada » qui prévoit mieux que les citoyens eux-mêmes ce dont ils ont besoin, ce qui constitue, d’après l’élu, la vraie transparence publique : le logiciel utilise l’intelligence artificielle, et le machine-learning peut automatiquement réfléchir et décider de publier les données ouvertes pour eux !

Une fois n’est pas coutume, la cité phocéenne est en avance sur Nice également, pourtant à la pointe en matière de surveillance. Mais le maire macro-compatible Christian Estrosi va encore plus loin et ne compte pas en rester là. Comme il l’a déjà dit, non seulement, « la reconnaissance faciale, c’est incontournable » mais « de toute façon, ça se fera » ! Comment Marseille saura-t-elle réagir et surenchérir pour aller encore plus loin et voir les choses en Grand avec un grand M ?

S. B.