Technopolice: les bailleurs sociaux en première ligne

On sait que les quartiers les plus défavorisés sont des lieux privilégiés d’expérimentation de la technopolice et de la répression policière. Caméras-piétons, LBD, drones : autant d’exemples de techniques largement déployées sur les populations les plus précaires avant d’être généralisées.

Le rapport annuel 2021 de l’Association Nationale de la Vidéoprotection, le grand lobby national de la vidéosurveillance, apporte de nouveaux éléments sur les rapports entretenus entre la Technopolice et les quartiers populaires.

Plusieurs pages sont dédiées aux sombres pratiques du plus grand bailleur de logements sociaux en France, le Groupe 3F . Y sont en particulier décrits trois exemples d’utilisation de la vidéosurveillance par le groupe. Tous concernent des « Quartiers de reconquête républicaine » (QRR) et portent des noms de code militaires, tels « Opération JULIETT » ou encore « Opération ALPHA ».

L’utilisation de caméras cachées

Le premier cas concerne l’installation de caméras de vidéosurveillance dans le 19e arrondissement de Paris, dans le quartier de Crimée. Il s’agissait de lutter contre des regroupements de personnes répondant à « des logiques de trafic [..] ou ethniques » (sic).

On apprend que la reconquête du parking « Jumeau » a ainsi impliqué l’installation de caméras « anti-vandales » mais aussi de caméras factices et de caméras « pin-hole ».

Ces dernières sont conçues pour être quasiment indétectables à l’œil nu et sont normalement utilisées pour espionner une ou plusieurs personnes à leur insu. Elles peuvent par exemple être installées dans de faux détecteurs anti-incendies, de faux détecteurs de mouvement ou simplement dans de fausses vis ! En voici deux exemplaires trouvés sur internet :

Une caméra dans un détecteur de fumée :

Une caméra dans une prise électrique :

La retransmission en temps réel aux services de police

La deuxième spécificité des systèmes de vidéosurveillance mis en place par le bailleur social est la transmission des images en temps réel aux Centres de Supervision Urbaine (CSU) des forces de l’ordre.

Si ce déport vidéo est autorisé, il faut toutefois préciser que cette pratique est strictement encadrée par la loi LOPPSI 2. Elle n’est en particulier autorisée qu’en cas « de circonstances faisant redouter la commission imminente d’une atteinte grave » et limitée au « temps nécessaire à l’intervention des services de la police ou de la gendarmerie ».

Notons d’ailleurs que dans le cadre de la loi « Sécurité Globale », le gouvernement cherche à faciliter ce déport en le permettant dès lors qu’il y a « occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires (…)» L’article 20 bis du projet de loi de Sécurité Globale voté par l’Assemblée Nationale prévoit de supprimer le critère d' »atteinte grave » et de le remplacer par « en cas d’occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires ou empêchent le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté ou nuisent à la tranquillité des lieux » (voir notre billet à ce sujet). Cet article a été supprimé par le Sénat mais devrait malheureusement revenir au moment des débats en commission mixte paritaire.

Mais à Aulnay, dans le cadre de l’opération « ALPHA », Immobilière 3F ne semble pas faire grand cas de cet encadrement. Il est ainsi prévu que le déport vidéo vers le CSU d’Aulnay puisse être activé à la demande des policiers. Rien ne permet de comprendre comment le cadre législatif sera respecté.

Opération « Chicha »

Dernière illustration de la banalisation de l’utilisation de la vidéosurveillance des habitants de logements sociaux ? Le bailleur social se vante d’utiliser des caméras nomades pour lutter contre… les fumeurs de chicha.

Tout cela ne fait que souligner la surveillance permanente, et pernicieuse, des populations défavorisées. Comme les migrants aux frontières, elles sont les premières à souffrir de la fuite en avant technopolicière de notre société.

Une fuite en avant

Ces expérimentations donnent, de nouveau, à voir l’infiltration permanente de la surveillance dans notre société : aux caméras-fixes dans la rue, se superpose une surveillance par les airs (drones), à hauteur d’hommes (caméras-piétons), surveillance qui nous poursuit désormais jusque dans les halls d’immeubles. A quand nos portes d’entrée ou nos chambres ?

La possibilité de transmettre ces vidéos dans des centres de commandement, centralisant et analysant l’ensemble de ces flux, est désormais facilitée et encouragée alors même qu’elle était initialement strictement encadrée.

Que dire enfin des caméras de type « pin-hole » ? Alors que la législation mettait au cœur de l’équilibre du système l’information des personnes sur l’existence des caméras (qui devaient être visibles pour tout le monde), on constate le développement de caméras discrètes, cachées, invisibles. Une surveillance qui ne s’assume plus, qui se veut invisible, pernicieuse et incontestable…