L’éclairage automatisé, une nouvelle étape dans l’aménagement sécuritaire des villes
Éclairage de l’espace public et sécurisation de la ville – Comment l’éclairage urbain a été et continue d’être un enjeu de gestion de l’espace public et de sa sécurisation ? De quelle manière sont dorénavant justifiées les nouvelles formes d’éclairage urbain ? Les argumentaires utilisés évoluent, mais il est toujours question de sécurisation et de contrôle de l’espace public.
Petit historique de l’éclairage urbain
Dans sa thèse sur l’éclairage public dans le royaume de France, Sophie Reculin montre que l’histoire de l’éclairage urbain débute au Moyen-Age, où les rues étaient plongées dans l’obscurité et où les torches étaient nécessaires pour se déplacer. Aussi, il était recommandé à l’époque de placer une torche à sa fenêtre pour éviter de se faire détrousser. Ensuite, au XVIIIème siècle, un lieutenant de police, Nicolas de la Reynie, pousse en faveur de l’apparition de l’éclairage public, d’abord à Paris, avec des lanternes à bougie. Plus tard, ce sera le fameux préfet Haussmann qui crée en 1855 « la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz ». À cette époque de révolution industrielle, il devient de plus en plus crucial de sécuriser les espaces, les déplacements et de mettre en valeur des bâtiments. Sophie Reculin, dans sa thèse explique que c’est donc durant la seconde moitié du XVIIIème siècle que « l’illumination publique est désormais considérée comme un instrument majeur de sécurité urbaine », qui transparaît par l’interdiction des jeux de rues et des dépôts d’ordures qui pourraient endommager les réverbères. À cette époque, une police de l’illumination publique est même créée. Les lanternes deviennent un enjeu : ceux qui les éteignent, les volent ou ne les allument pas doivent payer des amendes, voire aller en prison. C’est à la fin du XIXème siècle que l’éclairage public électrique fait son apparition dans la capitale et devient de plus en plus important dans les années 1960 : l’éclairage urbain doit permettre la circulation de jour comme de nuit avec le développement de l’automobile.
« En définitive, l’éclairage permet aux autorités urbaines d’augmenter l’emprise de l’espace public dans la ville au détriment des riverains en ouvrant l’espace par l’interdiction des jeux de rues et des dépôts d’ordures et en le quadrillant grâce à une professionnalisation de la police dans l’illumination publique et le numérotage des lanternes. Ce n’est désormais plus le mur qui crée un sentiment de sécurité pendant la nuit, mais la présence des réverbères ». Sophie Reculin, page 319
Au même titre que l’aménagement urbain de Paris proposé par Haussmann avait, sous couvert de mesures hygiénistes, des visées sécuritaires afin que l’État puisse mater plus facilement les révoltes populaires, l’éclairage urbain, développé à la même époque, suit cette tendance des aménageurs : la lumière était clairement associée et construite comme un outil pouvant assainir et corriger la ville et ses problèmes. Dorénavant, la transformation de l’éclairage urbain n’est plus vraiment justifiée par son aspect hygiéniste mais plutôt par un argumentaire pseudo-écologique, mais avec toujours cette visée sécuritaire.
Aujourd’hui : les lampadaires, ces nouveaux capteurs automatisés
Aujourd’hui, la tentative de syncrétisme entre la safe city et la transition écologique promue par les pouvoirs publics incite les collectivités territoriales à investir dans un « éclairage intelligent ». Ainsi, grâce à des capteurs, les lampadaires peuvent désormais s’allumer s’ils détectent une présence dans la rue, ajuster leur luminosité au contexte et même être éteints à distance, ça s’appelle de la « télégestion ». C’est ce qu’il est prévu pour Dijon : le projet de smart city Ondijon de la métropole envisage de remplacer progressivement les lampadaires existant pour les connecter, afin qu’ils s’éclairent en fonction du passage des gens dans la rue. Ainsi, l’éclairage urbain permettra : » à un éclairage de chaussée d’être réduit en fonction de la fréquence de passage des véhicules. Ou encore de moduler l’éclairage des parcs grâce à des capteurs de présence. » Mais ce n’est pas tout. La capitale de la Bourgogne semble même prévoir d’installer directement des caméras de vidéosurveillance dans les lampadaires ! C’est Citybox, le produit tout-en-un développé par Bouygues, spécialisé dans l’éclairage dits intelligents. Citybox propose directement d’intégrer les capteurs de pollution, bornes wifi et même les caméras de vidéosurveillance dans les lampadaires !
Ailleurs dans le monde, on s’aperçoit que les lampadaires sont des mâts, emplacements parfaits pour poser discrètement des caméras. Où même recharger les batteries des drones… quand il s’agit du sécuritaire, les idées sont foisonnantes chez les ingénieurs et politiques…
Qu’est-ce que ça dit de l’espace public construit par la Smart city ?
Cette valorisation du mouvement dans la conception de la ville comme composée d’une multiplicité de flux n’est pas sans rappeler la stigmatisation et criminalisation de la mendicité et du vagabondage. L’État, à partir du XVIème siècle, cherche à limiter les mouvements de population, à fixer les individus et à contrôler les mobilités. Car les mendiants et vagabonds remettent en cause le travail et la sédentarité. L’État cherche à les identifier, les catégoriser et les fixer. Cinq siècle plus tard, c’est désormais l’immobilité qui est associée à l’oisiveté coupable : l’effet inverse est recherché, l’espace public est prévu pour être en constant mouvement, la fixité à un endroit n’est pas souhaitée. Les repères culturels et les dispositifs ont changé mais il s’agit toujours pour une autorité étatique de contrôler les populations à travers le mouvement.
Comme le décrit Myrtille Picaud, le fait d’allumer un lampadaire dans une rue quand une personne la traverse (comme à Dijon) révèle que l’espace public est considéré par les autorités comme un lieu de passage. Les espace publics sont ainsi perçus comme des lieux où transitent des flux et non plus des lieux appropriables par tous et toutes, des lieux d’échanges et de vie.
Dans quelles conditions pourrons nous encore passer nos nuits d’été dans la rue ? Tout le monde n’a pas les moyens de sociabiliser en bar, en discothèque ou dans de grands appartements. Faudra-t-il agiter machinalement la main toutes les cinq minutes pour relancer la minuterie du lampadaire ? Voilà une façon bien pratique de nous faire ressentir que nous ne sommes pas les bienvenues dans nos propres rues.
Cette modification de l’éclairage public est présentée comme la transition énergétique de la lumière. Mais on peut se demander par quel miracle la multiplication de capteurs sur les lampadaires les rendent-ils plus écologique ? Une borne wifi, une caméra de vidéosurveillance, un capteurs de luminosité, un capteurs de présence, une recharge de téléphone portable, bientôt une antenne 5G. Comment la multiplication de ces objets technologiques gourmands en électricité sur les lampadaires intelligents peuvent-ils réduire la consommation en électricité d’un candélabre classique ? Sans oublier le coût humain et écologique de l’extraction des métaux nécessaire à la création de ces objets connectés et intelligents, supporté par des personnes à l’autre bout du monde.
Ainsi, l’éclairage public est un outil d’aménagement doté de vocations différentes au cours de l’histoire : d’un argument de lutte contre la délinquance et criminalité, à une opportunité économique qui repousse l’heure du coucher et permet de se déplacer la nuit à, désormais, une justification pseudo-écologique portée par les géants de la smart city. Ces derniers voient dans les lampadaires l’aubaine de transformer, sous couvert d’économie d’électricité, un objet avec un usage simple à un couteau-suisse de la ville connectée et sécuritaire.
A l’heure où les satellites de Starlink inondent le ciel, où les clignotement incessants des LED sont omniprésents dans l’espace urbain et où les humains sont envisagés comme des ressources et des flux sans cesse en mouvement, on veut pouvoir s’arrêter et éteindre la lumière nous-même.
En espérant revoir les étoiles.
CITELUM (EDF) – les pros des lampadaires sécuritaires
Citelum, filiale d’EDF – en plus de RTE, Enedis et Framatome – s’est spécialisé dans l’éclairage public et sa connectivité avec les autres capteurs des villes (-caméras, indicateurs pollution par exemple – très souvent centralisé au sein d’un centre de pilotage de ces capteurs). L’entreprise est présente dans le consortium censé mettre au point la smart city dijonnaise, avec Citybox de Bouygues. A travers la voix de son directeur, Jean-Daniel Le Gall, l’entreprise explique sa stratégie : « l’éclairage intelligent des villes constitue souvent la première étape d’un projet réussi ». Il développe : car dans un second temps, les gains économiques obtenus, à travers cette économie d’énergie (installation de LED moins consommatrice d’électricité) pourront directement être réinvesties dans d’autres dispositifs tels des capteurs, des caméras etc. « L’éclairage intelligent est un premier pas vers la ville connectée. Les infrastructures installées ont été pensées pour mettre en place, sur le long terme, d’autres services associés comme la vidéoprotection, le Wi-Fi, le stationnement intelligent, etc ».
Les autres entreprises leaders sur le marché de l’éclairage intelligent et de sa connectivité sont : Bouygues énergies et service, Citeos (Vinci) et Engie.