La loi Drones 2 est docilement adoptée par l’Assemblée

L’Assemblée nationale vient d’adopter une nouvelle loi pour légaliser l’usage de drones de surveillance par la police. Alors que le texte est quasiment identique à celui censuré par le Conseil constitutionnel en début d’année, les parlementaires n’ont pas hésité à le voter une nouvelle fois. C’est une énième preuve qu’il n’y a rien à attendre du Parlement pour nous protéger des dérives sécuritaires du gouvernement. La lutte contre la Technopolice ne se fera pas sur les bancs de l’Assemblée.

Nous en parlions ici : après s’être vu à quatre reprises refuser le droit de surveiller la population avec des drones, le gouvernement est revenu une cinquième fois à l’attaque. Deux arrêts du Conseil d’État, une décision de la CNIL et une décision du Conseil constitutionnel n’auront pas suffi : le gouvernement est prêt à tout pour déployer des drones avec caméra dans l’espace public. Les caméras fixes, les caméras « nomades », les caméras-piétons, tout cela ne lui suffit pas : il faut surveiller, toujours plus, et retransmettre les flux en temps réel à des centres de supervision – et derrière analyser et disséquer les images, transformer nos rues et nos déambulations en données exploitables par la police.

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Notons tout de suite que le texte ne parle plus seulement des drones mais de tout « aéronef » utilisé par la police (alinéa 2 de l’article 8) : c’est-à-dire qu’il légalise non seulement la surveillance par drones, mais aussi celle faite par hélicoptère ou par avion, une surveillance réalisée depuis longtemps par la police en toute illégalité – sans qu’aucune institution (en particulier pas la CNIL) ne soit venue la gêner (voir notre article d’analyse ici), et sans qu’aucun responsable ne soit condamné.

Le gouvernement (ou le rapporteur du texte, on ne sait plus très bien faire la différence) veut faire croire qu’il répond aux critiques du Conseil constitutionnel. Il reprend donc le même texte que l’année précédente et fait quelques modifications à la marge, des modifications trompeuses qui, comme on va le voir, n’enlèvent en rien le caractère profondément liberticide du texte.

Les finalités autorisées pour déployer un drone restent toujours aussi larges, même si le gouvernement tâche de faire en sorte que cette fois, le Conseil constitutionnel se montre plus accommodant : la police peut tout faire rentrer dans la notion de « prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans les lieux particulièrement exposés », ou dans celle de « sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique » ou dans la « prévention d’actes de terrorisme ».

Quand bien même ces finalités seraient limitées, qui les contrôle en pratique, et qui autorise les drones ? Le représentant de l’État et, à Paris, le préfet de police. La police demande donc autorisation à la police pour utiliser des drones. Il est vrai qu’on est jamais mieux servi que par soi-même. Rappelons à ce sujet que nos deux contentieux de 2020 au sujet des drones étaient… contre le préfet de police. Et que c’est lui qui se gargarisait devant l’AFP de sa nouvelle arme technopolicière.

Autre fausse limitation : l’autorisation délivrée par le représentant de l’État prévoit un nombre maximal d’aéronefs, un périmètre géographique et une durée limitée. D’abord, le texte ajoute aussitôt une exception en cas d’urgence pour faire sauter cette limitation« Par dérogation à cette procédure d’autorisation, lorsque l’urgence résultant d’une exposition particulière et imprévisible à un risque d’atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens le requiert, les traitements mentionnés au présent article peuvent être mis en œuvre de manière immédiate, après information préalable, du représentant de l’État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, qui peut y mettre fin à tout moment. Au‑delà d’une durée de quatre heures, la poursuite de la mise en œuvre du traitement est subordonnée à son autorisation expresse et ne peut excéder une durée de vingt‑quatre heures » . Ensuite, hors cas d’urgence, cette limitation ne restreindra pas ce que souhaite faire la police en pratique. Si la police souhaite 200 drones pour surveiller toutes les manifestations d’une ville durant toute l’année, rien n’empêchera le préfet de l’y autoriser (si l’autorisation est en théorie limitée à 3 mois par la loi, ce délai est indéfiniment renouvelable). Et quand bien même le préfet voudrait se montrer exemplaire en n’autorisant que trois drones, limités à une zone où a lieu un rassemblement à Paris pour la durée de la manifestation, la police pourra capter un nombre extrêmement important d’informations. Et c’est encore plus vrai pour les hélicoptères ou les avions, au vu de leur puissance de captation (on en parlait aussi ici).

Ce sont donc des fausses limites, un faux encadrement. Jean-Michel Mis (LREM) (voir notre portrait) a remplacé ses collègues Fauvergue et Thourot sur ce sujet mais c’est la même entité désincarnée qui tient la plume, chaque membre de la majorité étant interchangeable avec l’autre. Les critiques formulées contre la loi « Sécurité Globale » tiennent donc toujours, elles sont accessibles ici.

Garde à vue et véhicules de police

Comme on l’a dit, le texte ne couvre pas que les caméras volantes mais évoque aussi de nombreux autre sujets (sur l’ensemble du texte, voir l’analyse du Syndicat de la magistrature).

Sur le sujet de la captation vidéo, le texte légalise de nouveau la vidéosurveillance en garde à vue. Toujours sans aucune gêne, les rapporteurs avouent que cette vidéosurveillance est pratiquée depuis longtemps mais sans cadre légal (comprendre donc que c’est totalement illégal, mais là encore, les responsables bénéficient d’une impunité systémique). Prétextant la protection de la personne placée en garde à vue, le texte veut en réalité permettre qu’une caméra soit placée en cellule pour la filmer en permanence (pour 24h avec renouvellement possible). Puisqu’on vous dit que c’est pour votre bien ?

Autre légalisation, les caméras embarquées sur les véhicules de la police et de la gendarmerie. C’est à peu près le même cadre que pour les caméras-piétons : autoriser la captation vidéo « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident », c’est-à-dire que la police ou la gendarmerie pourra décider de filmer qui elle veut et quand elle veut, avec possibilité de transmission du flux vidéo en temps réel à un poste d’observation.

Autre changement majeur dans la législation, l’article 16 qui élargit les possibilités de prise de photos et d’empreintes d’une personne (notamment les mineur·es) sous contrainte. Aujourd’hui la police doit, dans la grande majorité des cas obtenir le consentement des personnes pour récolter leur signalétique (empreinte, ADN, et photographie) bien que le refus de s’y soumettre soit pénalement sanctionné.

Le texte prévoit que celle-ci puisse donc relever sous contrainte les empreintes palmaires et digitales des personnes ainsi que la prise d’une photographie, on imagine par la force (voir pour plus d’informations, le volet 2, page 17 des observations du syndicat de la magistrature).

Impossible de voir une quelconque amélioration entre le texte censuré par le Conseil constitutionnel et le texte adopté : comme pour les drones, c’est le même texte, avec quelques fausses rustines.

Faux débat parlementaire

Le texte a-t-il changé entre sa présentation par le gouvernement en juillet dernier et son adoption par l’Assemblée nationale aujourd’hui ? À peine, en tous cas sur les sujets de captation vidéo. Notons simplement que leur utilisation, ainsi que celles des caméras en garde-à-vue, a été étendue par les députés à la police douanière.

De même que la loi sécurité globale avait démontré la soumissions institutionnelle du Parlement à la police (voir notre analyse), aucun espoir d’amélioration n’était à attendre des députés aujourd’hui. Dans l’ancienne loi sécurité globale, le seul effort consenti par le Parlement avait été d’interdire que les images captées par drones ne soient soumises à un traitement de reconnaissance faciale Sont prohibés […] l’analyse des
images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale
. Cette limitation est reprise mais largement réduite : « Les dispositifs aéroportés ne peuvent […] comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale ». Or, s’il faut redouter une forme de reconnaissance faciale, ce n’est pas celle réalisée par le drone lui-même mais celle réalisée par les policiers depuis le poste de contrôle, sur leurs propres ordinateurs, à partir du fichier de traitement des antécédents judiciaires qui leur permet depuis 2012 de réaliser de tels traitements (voir notre analyse sur le fichier TAJ). La seule amélioration apportée par l’Assemblée nationale l’an dernier aura bien vite été supprimée aujourd’hui.