JO2024 : l’Agence nationale de la recherche planifie la technopolice

Pour les JO de Paris 2024, l’État français et ses institutions, comme l’Agence nationale de la recherche, financent, encouragent et développent la Technopolice. Ils prévoient notamment l’utilisation de la reconnaissance faciale de masse, le déploiement de techniques d’analyse vidéo de « gestion de foule » ou encore l’analyse en continue des réseaux sociaux et des données téléphoniques. Et ce, alors même que la majorité de ces technologies sont aujourd’hui illégales.

Comme dénoncé depuis un moment déjà, les industriels de la surveillance ont vu dans les JO de Paris une occasion rêvée pour faire rayonner et financer leur sinistre savoir-faire.

N’oublions pas qu’une fois que ces dispositifs auront été développés et testés, et que des agents auront été formés à leur utilisation, ils ne resteront pas circonscrits aux JO, mais perdureront dans le futur [1]. Il faudra rentabiliser le coût de leur développement, via leur généralisation au reste de l’espace public.

Un trio gagnant : l’ANR, le comité organisateur des JO et les entreprises candidates

En vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, l’ANR, l’Agence nationale de la recherche, en partenariat avec le ministère de l’intérieur et les organisateurs des JO (la Coordination nationale pour la sécurité des JO) a réalisé un appel à projets en 2019 concernant la sécurité de l’évènement :

Dans les documents explicatifs du projet, obtenus via des demandes CADA, on y apprend que six projets ont été sélectionnés, pour un financement de 500 000€ « maximum » par projet. Ils possèdent des noms comme Girafe, Easymob ou encore Discret. Il s’agit ici de partenariats entre des entreprises et des universités françaises car comme le souligne l’appel à projet, les JO de Paris représentent une « opportunité pour la filière des industries de sécurité en contribuant à la structuration de celle-ci, en développant l’innovation et en faisant connaître et reconnaître une offre française sur les marchés internationaux. »

Un appel à projets en 2019, des financements et une phase de recherche en 2020 et 2021, sans oublier l’étape d’expérimentation qui aura lieu lors de la coupe du monde de Rugby en 2023, vu comme une avant première des JO 2024.

Les projets en cours d’élaboration

Tout d’abord, il y a EASYMOB qui prévoit de sécuriser l’accès aux infrastructures olympiques via la reconnaissance faciale. Ainsi, il faudra scanner un badge où sera préalablement enregistré une photo de la personne, que celle-ci soumettra au regard de la caméra. Ceci permettra de vérifier que la photo correspond à son visage. En plus d’être utilisé pour contrôler l’accès aux infrastructures, Easymob prévoit de rassembler toutes les photos dans une base de données centralisée. Et permettra aux caméras existantes sur les sites de localiser les « personnes non habilitées » présentent dans la foule. Ce projet est financé à hauteur de 474 000€.

Ensuite, il y a GIRAFE – on imagine un animal qui, par sa taille et hauteur, peut observer tout le public – dont le but est d’organiser la « gestion de foule ». Cette dernière, perçue comme un flux à gérer, sera filmée et analysée en continu par GIRAFE et ses algorithmes. L’outil alerte les autorités en cas de comportement « anormal » d’une partie de la foule ou d’un individu en particulier (course-poursuite, abandon d’un sac par exemple et suivi jusqu’à l’interpellation). GIRAFE est conçue par la célèbre multinationale française de la biométrie IDEMIA avec EVITECH pour 484 000€.

Sur un sujet similaire, on trouve aussi OKLOS qui cherche à prédire et détecter les anomalies dans une foule en mouvement : les comportements de groupe et des individus, avec de la vidéosurveillance automatisée (VSA) et des caméras thermiques… pour 367 000€.

Enfin, le dispositif DISCRET veut extraire des données du réseau social Twitter ainsi que des données téléphoniques de l’opérateur Orange, pour « détecter en temps réel les situations atypiques ou critiques ». Réalisé en partenariat avec Orange et l’université de technologies de Troyes, ce projet est financé à hauteur de 487 000€. Ce rapprochement avec Orange nous rappelle, hélas, la surveillance de masse illégale qu’avait tenté de déployer l’opérateur téléphonique au tout début de la crise Covid. Une forme de surveillance de l’espace public numérique qui s’ancre petit à petit dans les pratiques policières en dépit de l’absence flagrante de tout encadrement juridique.

Les dispositifs MAASTER pour « Mouvements de foule Anticipés et Ajustés à la Situation Terrain Réelle » et Cap-4-Multi-Scan-Alert sont aussi en développement mais nous n’avons pas plus d’informations sur ceux-ci pour le moment.

Le sécuritarisme d’État

Le livre blanc de la sécurité intérieure annonce parfaitement ce modèle de société contre lequel nous nous battons : une société où la police, dopée à l’IA et au « Big Data », possède encore plus de pouvoir et moyens qu’aujourd’hui. La loi sécurité globale, les décrets PASP, GIPASP et EASP, celui autorisant la vidéosurveillance automatisée dans les transports pour la détection de masques, la multiplication des caméras de vidéosurveillance aux quatre coins du pays, la commande de 600 nouveaux drones par le ministère de l’Intérieur, l’utilisation de plus en plus fréquente de la reconnaissance faciale via le fichier TAJ par la police prouvent le véritable sécuritarisme d’État qui se met en œuvre, dans lequel les événements sportifs semblent être de parfaits tremplins à celui-ci.

Les Jeux Olympiques 2024, lesquels n’auront pas uniquement lieu en Île-de-France (mais aussi à Marseille par exemple), représentent une occasion unique pour les industriels de la sécurité de parfaire leurs technologies mortifères et d’ouvrir de nouveaux marchés. Et pour les politiques d’imposer (au travers d’une compétition sportive qui, à n’en pas douter, sera implémenté à large échelle par la suite) leur sécuritarisme forcené. Quand les intérêts économiques et politiques convergent, c’est le modèle de notre société tout entière qu’il faut remettre en question. Et ça commence par refuser l’imposition de ces technologies à tout prix.

[1] Olivier Tesquet, « État d’urgence technologique Comment l’économie de la surveillance tire parti de la pandémie « , 2021, Premier Parallèle., page 25