Contre la Technopolice, passons à l’offensive !

Nous republions un article que nous avions écrit pour le journal AOC, publié en septembre 2022. Depuis la plainte à la CNIL a été déposée avec 15248 signatures !

En cette fin de semaine se tient à Marseille, le festival Technopolice, organisé par la Quadrature du Net, un collectif visant à dénoncer les comportements liberticides des politiques publiques, notamment l’utilisation de la “vidéosurveillance algorythmique”. À travers une pétition et une plainte adressée à la CNIL, celui-ci se mobilise face à la réappropriation du « sentiment d’insécurité », que l’État justifie ainsi mais qui sert en réalité à surveiller continuellement la population.

En 2019, l’association La Quadrature du Net, qui promeut et défend les libertés fondamentales dans l’environnement numérique depuis 2008 a lancé Technopolice, une campagne décentralisée visant à lutter contre le déploiement des technologies de surveillance dans l’espace public.

Technopolice nomme un phénomène : l’alliance de la technologie et de la police dans la polis, la cité. Cette alliance de la sécurité et du numérique au sein de l’espace public, dans les rues, les villes, est loin d’être anodine.

Elle menace les libertés publiques et individuelles, transforme les rapports sociaux, favorise l’exclusion voire la répression de certaines catégories de la population. La campagne Technopolice vise ainsi à documenter tous ces dispositifs qui prennent place un peu partout en France, généralement sous couvert d’expérimentation dans un premier temps, avant d’être entérinés par la pratique puis par le droit : détection de comportements anormaux, drones, reconnaissance faciale, micros … Face à la propagation de la technopolice, et alors que les éditions 369 ont récemment publié un livre de Claire Richard sur le sujet, La Quadrature du Net passe à l’offensive avec le dépôt auprès de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) d’une plainte collective contre le Ministère de l’Intérieur et toute son infrastructure de surveillance.

La phase vidéosurveillance

Pour commencer, revenons sur la vidéosurveillance, un capteur intrusif au cœur de la technopolice. C’est en 1990 que sont apparues les premières caméras de surveillance en France, à Roubaix puis à Levallois Perret. En 1995, la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (dite « LOPSI ») leur offre un cadre légal.

Après un lent développement, c’est sous la présidence de Nicolas Sarkozy qu’un décret de 2007 en promeut l’utilisation et généralise leur installation un peu partout dans les métropoles et villes françaises, la vidéosurveillance devenant « un choix prioritaire » du gouvernement.

Dès 2012, la CNIL recensait plus de 800 000 caméras dans l’espace public en France, sans distinguer les privées (commerces, entrées dans des lieux privés, etc.) des publiques. Aujourd’hui, il n’existe pas de décompte officiel, mais les il est certain que les caméras de surveillance se sont multipliées depuis 10 ans.

Si, actuellement, le nombre de caméras explose dans les métropoles (comme le montre cette comparaison des 50 villes les plus peuplées et surveillées), le marché de la vidéosurveillance se tourne aussi de plus en plus vers les zones rurales.

Comme à Marcillac-Vallon, en Aveyron, où le maire a installé, malgré la mobilisation des habitant·es de la commune contre ce projet et sa promesse d’y renoncer, plusieurs caméras autour du local poubelle du village pour surveiller « le dépôt sauvage d’ordures ».

Ou encore à Forcalquier, petite ville de 5000 habitant·es dans les Alpes de Haute Provence, ne souffrant pourtant pas particulièrement de vols, de cambriolages ou d’autres infractions permettant souvent de justifier l’installation de caméras, et où les habitant·es ne comprennent toujours pas le nouveau projet d’installation de caméras fixes et mobiles du nouveau maire LR élu en 2020.

Ces zones rurales, jusque-là encore relativement vierges de caméras, semblent être les nouveaux territoires à conquérir, à la fois pour les industriels de la sécurité en quête de nouveaux marchés, comme pour les élus locaux en quête de discours et de bilans politiques rentables politiquement, et ce, sans contrainte financière directe pour les communes, car ces projets sont systématiquement financés par l’État ou l’Europe, via le Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD) qui ne cesse d’augmenter ou encore le Fonds Européen pour la Sécurité Intérieure (FSI).

C’est ainsi que, le président de l’AN2V, l’association nationale de vidéoprotection, créée en 2004 pour « répondre à un besoin de mutualisation des expériences dans le domaine des technologies de sûreté » et « regroupant la plupart des entreprises du domaine de la sécurité ainsi que des collectivités », déclarait dernièrement dans un colloque nommé « IA et sécurité intérieure » (IA pour Intelligence Artificielle) « je tire mon chapeau à Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot qui ont bien bataillé pour faire passer cet article 42 » de la loi Sécurité Globale, permettant à des communes, métropoles, départements, petites collectivités rurales, syndicats d’électrifications, syndicats mixtes ouverts, etc. de se réunir autour de grands projets communs de vidéosurveillance et de mutualiser à la fois leur utilisation et leur exploitation.

Pour lui, cet article 42 et l’augmentation de la dimension des projets de vidéosurveillance qu’il permet désormais tend vers « une évolution lourde qui va marquer les esprits sur les dix prochaines années » et faire disparaître la « rupture de sécurité dans ces territoires ». Or, si des caméras ont été déployées un peu partout sur le territoire, ce n’est pourtant pas pour leur efficacité à faire baisser la criminalité. Comme le démontrent les rares études sur le sujet [8], les vidéos issues de caméras sont mobilisées dans moins de 2 % des enquêtes résolues et ce, malgré leur prix, qui devrait pourtant être rédhibitoire, lorsqu’on sait qu’une seule caméra coûte en moyenne 30 000 euros à une commune.

Dans une ville comme Nice, on en compte bientôt 4000. Pour expliquer cette contradiction – les caméras sont inefficaces mais tout le monde en déploie – le LINC, le laboratoire de prospective de la CNIL, évoque la construction d’un système de production de croyance en l’efficacité de la vidéosurveillance.

Cela signifie que la croyance en son efficacité et son utilité politique est construite de toutes pièces à partir de la notion « de sentiment d’insécurité », sorte de joker impossible à quantifier et à définir, et pourtant régulièrement utilisé dans la rhétorique sécuritaire par les préfets, les gendarmes, les élus, les assurances, la presse, les entreprises… Les discours de l’ensemble de ces acteurs convergent parfaitement pour promouvoir l’idée que la vidéosurveillance est la solution.

Si la vidéosurveillance se propage aussi largement, c’est aussi parce que son déploiement sert d’autres intérêts, avant tout politiques et économiques. L’installation de caméras permet aux municipalités de facilement capitaliser sur ces dispositifs : la sécurité est une ressource rentable politiquement, tant comme facteur d’attractivité territoriale pour la commune que comme une mesure de court terme prétendant répondre à des problématiques sociales.

Du côté des entreprises de la sécurité, la vidéosurveillance représente un marché très lucratif et en constante expansion (10% de croissance annuelle prévue) : il représentait 45 milliards d’euros en 2020 et pourrait s’envoler à 75 milliards d’ici 2025.

C’est pourquoi la lutte contre la vidéosurveillance qui a émergé dans les années 2000 [13] reste toujours d’actualité et devient plus importante que jamais, car à travers la technopolice, les caméras sont en passe de changer de nature.

La phase technopolice

Aujourd’hui, à travers le développement du modèle des smart cities, qui repose sur la collecte et l’exploitation de données, les systèmes de vidéosurveillance qui existaient depuis le début des années 1990 en France, se transforment pour tendre vers une surveillance plus totale. Cela passe notamment par l’ajout d’algorithmes à ces dispositifs, permettant de détecter des comportements, de collecter des données ou encore de coupler surveillance et fichage. Il s’agit donc d’un véritable changement d’échelle.

Une des évolutions récentes majeures est la VSA pour vidéosurveillance algorithmique (dite « automatique »). La VSA intègre un système d’algorithmes aux caméras de surveillance dites « classiques » dans le but d’automatiser l’analyse des images captées par les caméras, jusqu’à présent réalisée par des humains, des opérateurs vidéo au sein de centres de supervision urbains (CSU).

Cette surcouche algorithmique a pour objectif de faire de l’analyse vidéo, en temps réel ou de manière différée, afin de repérer… ce que la police a envie de repérer : les « comportements suspects », le « maraudage » (le fait d’être statique dans l’espace public ), le « dépassement d’une ligne » dans une zone prédéfinie, le suivi de personnes, la détection d’objets abandonnés, des bagarres, des vols, etc. [1]

La vidéosurveillance algorithmique fait ainsi partie des dispositifs les plus opaques car il est difficile de la documenter : les renseignements sont glanés sur les sites des industriels, les administrations publiques rechignent à répondre à nos demandes d’accès aux documents administratifs et enfin les algorithmes sont obscurs. En effet, la majorité des projets technopoliciers en France sont réalisés discrètement et ne gagnent pas à être publicisés selon les décideurs qui les mettent en place, afin de ne pas susciter d’opposition parmi la population.

Pour prendre un exemple, Nice vient d’équiper certaines de ses caméras de surveillance du système Cityvision de l’entreprise Wintics, un « système basée sur l’intelligence artificielle permettant de rechercher et de reconnaître une personne dans la foule en fonction de plusieurs critères comme sa tenue vestimentaire, sa corpulence, son âge ou sa taille » et se targue ainsi de ne pas avoir besoin de recourir à la reconnaissance faciale.

Il s’agit pourtant bien ici d’identification biométrique. L’entreprise met en avant un double discours : elle nie l’utilisation de technologies intrusive tout en les déployant.

Selon le fondateur de Wintics, le logiciel permet également « l’analyse des comportements dangereux de 8 modes de déplacements urbains » afin de « mieux comprendre comment fonctionnent les villes pour mieux les piloter ». La vidéosurveillance algorithmique vise donc à détecter, contrôler et exclure certain types de comportements et donc certaines populations.

Comme tout système de surveillance de l’espace public, la VSA s’intéresse en priorité aux personnes qui passent le plus de temps en extérieur – les personnes qui, par manque de ressources, n’ont pas ou peu accès à des lieux privés pour sociabiliser ou pour vivre. Cela est encore renforcé par le fait que, pour reconnaître efficacement des comportements, la VSA s’appuie sur des algorithmes entraînés à partir d’une grande quantité de séquences d’images représentant une même action.

Ainsi, les comportements les plus efficacement détectés seront ceux qui sont le plus fréquemment rencontrés et filmés dans la rue et les transports. Ne seront donc ciblés que les comportements typiques des populations qui y passent le plus de temps. Peu importe que ces activités soient licites ou illicites, ce sont ceux que la VSA aura appris à reconnaître. Il ne s’agit pas d’un simple « effet de bord » d’une technologie immature qui aurait encore quelques « biais ». Au contraire, la VSA est précisément vendue pour lutter contre des comportements définis comme « anormaux » bien qu’étant parfaitement communs et « normaux » pour une large partie de la population.

Par exemple, la RATP a récemment expérimenté dans la salle d’échange du RER de la station Châtelet-les-Halles un système pour repérer les personnes statiques pendant plus de 300 secondes. : maraudage, mendicité, réunions informelles. La VSA joue ainsi un rôle d’outil d’exclusion sociale, par la surveillance qui s’ajoute aux politiques d’urbanisme et d’aménagement urbain déjà déployées contre les populations populaires et précaires. C’est cette fuite en avant technologique que nous avons tenté de recenser et cartographier dans le cadre de la campagne Technopolice. Des drones aux micros détecteurs de sons anormaux, en passant par la vidéosurveillance algorithmique, censée détecter des comportements suspects, des identités ou encore des émotions, la technopolice prend des formes multiples.

A travers ce travail de documentation, nous souhaitons à la fois mettre en lumière le développement opaque des technologies policières dans les villes et aidez ses habitant.es à lutter grâce à plusieurs outils et un forum pour échanger et se retrouver. Nous observons l’arrivée de la technopolice depuis 2019 : industriels et politiques développent un attrait pour des technologies gadgets, qu’ils considèrent comme une solution à leurs problèmes. L’exemple de la ville de Saint Étienne est assez parlant pour illustrer cet enchevêtrement d’intérêts industriels, politiques et institutionnels.

Le projet initial, nommé S.O.F.T. pour Saint-Étienne Observatoire des Fréquences du Territoire visait, en partenariat avec l’Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain (ANRU) et l’entreprise Serenicity, à installer des mouchards à Tarentaize-Beaubrun-Couriot, un des quartiers les plus défavorisés de la ville. Ces derniers, s’ils captaient des sons jugés « anormaux » (cris, de bombe de peinture, scie circulaire…) faisaient remonter une alerte au centre de supervision urbain (CSU) qui envoyait ensuite des drones sur place. Le dispositif était inclus dans le programme de ville durable et d’attractivité territoriale selon l’ANRU, qui finance une partie du projet dans le cadre de son « Programme d’Investissement d’Avenir Villes et Territoires Durables ».

On retrouve également dans ce cas l’alliance entre élus locaux et industriels de la sécurité et de l’armement (ici la société Serenicity, dirigée par Guillaume Verney-Carron, également président de la société Verney-Carron, fabricant d’armes et de lanceurs de balles de défense type flash-ball, avec qui le maire semble familier lorsqu’il s’adresse à lui. [2] C’est à la suite des nombreuses mobilisations des Stéphanois·es et de collectifs comme Halte au contrôle numérique ainsi qu’à la publication de nos documents que la CNIL a finalement déclaré le projet illégal et qu’il est tombé à l’eau.

Parfois attaquer en justice un dispositif sur la base de son illégalité peut fonctionner, comme dans deux lycées de Nice et Marseille où le département voulait installer des portiques de reconnaissance faciale à l’entrée, jusqu’à ce que le tribunal administratif leur donne tort. Mais bien souvent, il faut établir un rapport de force avec les collectivités, comme l’a montré le cas de Saint Étienne.

Que ce soit à Nîmes dès 2015 avec Briefcam, à Toulouse en 2016 avec IBM, à Marseille depuis 2018 avec la SNEF, à Paris avec la RATP qui autorise des entreprises à tester leurs algorithmes sur les utilisateu·rices des métros, à Nice plus récemment avec son système d’identification de personne dans la foule, ou encore avec la municipalité de Suresnes dans les Hauts-de-Seine qui offre sa population en cobaye pour la start-up parisienne XXII, la vidéosurveillance algorithmique se déploie un peu partout en France.

S’il reste compliqué de quantifier le nombre de villes qui l’utilisent, en raison du manque criant de transparence de ces dernières et de l’impossibilité de les distinguer visuellement des simples caméras de surveillance, nous en avons identifié une cinquantaine, le nombre exact dépassant fort probablement la centaine rien qu’en France.

L’offensive

Ces années de recherche et de documentation ont amené La Quadrature du Net à passer aujourd’hui à une nouvelle étape, celle de l’offensive. Depuis le début de l’initiative Technopolice, le constat est le suivant : les caméras ont changé de nature. Elles peuvent désormais être associées à des logiciels d’intelligence artificielle, être exploitées en association avec des fichiers de police et surtout avec des outils de reconnaissance faciale. L’ensemble de ce système de surveillance aggrave considérablement l’intrusivité des outils policiers et renforce la perte d’anonymat des personnes.

C’est pourquoi il est nécessaire de combattre l’ensemble de ce phénomène auxquelles participent les caméras de surveillance avant qu’il ne se généralise. L’agenda politiquee nous presse : les prétextes de la coupe du monde de rugby de 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sont régulièrement brandis par les décideurs et les industriels pour justifier le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique et la reconnaissance faciale, qui pourraient paraître plus acceptables dans un contexte d’événement sportif de grande ampleur, susceptible d’être l’objet d’attaques.

Ces échéances ne demeurent néanmoins qu’un catalyseur imaginé pour accélérer aussi bien l’installation que l’acceptation de ces technologies par la population. L’expérience montre que, souvent, les dispositifs installés à l’occasion de tels événements sont ensuite maintenus, en raison notamment des lourds investissements qui incitent à ne pas y renoncer après la phase d’expérimentation.

Il est par ailleurs aisé de leur trouver de nouvelles applications dans des contextes liés à l’actualité courante : mobilisations sociales, manifestations, fêtes populaires, etc. S’opposer dès maintenant à cette installation sans contrôle de tels dispositifs et empêcher leur utilisation au-delà des moments de fixation épisodiques est donc particulièrement crucial. Les discours invoquant de futures expérimentations feraient presque oublier que ces technologies sont déjà bien installées et se complètent les unes avec les autres.

Outre la vidéosurveillance algorithmique, c’est l’utilisation massive en France de la reconnaissance faciale qui est encore méconnue et que notre action cherche à également à rendre visible. On peut ainsi lire dans un article de la revue Gendinfo de la Gendarmerie Nationale qui décrit les méthodes les plus courantes d’investigation biométriques lors d’enquêtes judiciaires que la reconnaissance faciale « passe par une consultation du TAJ à partir d’une image de visage capturée par une caméra de vidéo-protection ».

Le TAJ, fichier de « traitements des antécédents judiciaires » commun à la police et à la gendarmerie, contient selon un rapport parlementaire « 18,9 millions de fiches de personnes mises en cause » par la police pour des crimes, des délits ou certaines contraventions (telles que des dégradations légères). Que ces personnes soient ou non condamnées par la justice, la police peut ainsi arbitrairement décider de leur ouvrir une fiche pour une durée allant jusqu’à 20 ans.

Le rapport estime également que « le TAJ comprend entre 7 et 8 millions de photos de face » – sans que soit précisé d’où viennent ces images. Aussi la police a-t-elle pu les récupérer elle-même, au commissariat ou sur le terrain, via des caméras de surveillance ou encore sur Internet, sur les réseaux sociaux, lors de contrôles d’identité ou à partir d’autres fichiers de police. En 2021, selon un rapport parlementaire, la police réalisait 1 600 opérations de reconnaissance faciale par jour via le TAJ. Ces pratiques illégales sont désormais effectuées de façon banale sans aucun encadrement ni contrôle.

À la fin du mois de mai 2022, une grande campagne de collecte de signatures a débuté, afin de déposer une plainte collective contre le Ministère de l’Intérieur devant la CNIL afin de lutter contre l’utilisation arbitraire des caméras, de leurs algorithmes mais également de la reconnaissance faciale et du fichage de masse par la police qui en découle. De fait, ces quatre systèmes de surveillance peuvent difficilement être dissociés les uns des autres, chacun complétant et renforçant les autres.

La plainte collective de La Quadrature du Net s’attaque au système tout entier car pour lutter contre la reconnaissance faciale, il faut aussi lutter contre l’ensemble des sources d’images et d’informations qui la nourrissent et la rendent possible. C’est pourquoi est aussi déposée la demande de contrôler et de recadrer le fichier TAJ et le fichier TES des « titres électroniques sécurisés ». Ce dernier regroupe depuis 2016 le visage et les données d’identité de toute personne demandant une carte d’identité ou un passeport. À sa création, le gouvernement avait justifié le fichage de l’ensemble de la population en mettant en avant des risques de fraude lors du renouvellement des passeports et des cartes d’identité.

Le risque est grand que ce méga-fichier puisse servir à la police et aux services de renseignement pour multiplier les cas d’usage de la reconnaissance faciale de la même façon que TAJ l’est aujourd’hui. Enfin, en complément, il faut combattre les sources de ce système de surveillance généralisée, ses yeux, c’est-à-dire le million de caméras de surveillance présentes dans nos rues, en France. Ne faisant pas baisser la criminalité et ne participant à la résolution que d’un infime nombre d’infractions , elles s’avèrent inutiles et représentent un outil disproportionné par rapport au risque élevé de surveillance et de répression qu’elles contiennent.

Le but de cette campagne est ainsi bien juridique : demander à la CNIL d’enlever les caméras, d’arrêter la reconnaissance faciale et enfin de réduire drastiquement la taille de deux fichiers de police TAJ et TES. Mais il est aussi et surtout politique : il s’agit de permettre à chacun et chacune de faire entendre sa voix contre ces technologies et de s’y opposer avant qu’elles ne soient imposées partout, dans un espace où les termes du débat sont monopolisés par quelques acteurs : des municipalités droitisées et conquises aux discours sécuritaires, des industriels qui s’enrichissent avec ces technologies de surveillance, des start-ups du numérique, l’État, et où l’on se retrouve devant le fait accompli sans pouvoir se poser cette simple question : voulons-nous vraiment de cette société ?

Cette plainte vise un acteur en particulier : l’État qui, à travers son ministère de l’Intérieur, est à l’initiative du déploiement de ces technologies, en collaboration et avec l’appui des autres acteurs. Choisir cette cible envoie un signal fort et exerce une pression importante sur la CNIL, pour que soit mis un coup d’arrêt à ce système et aux politiques de surveillance. Mais ce n’est qu’une étape dans le combat contre la technopolice. Le sens de l’initiative Technopolice lancée il y a trois ans ne saurait exister sur le long terme que grâce à chaque lutte locale qui se crée partout en France (et au-delà avec Technopolice Belgique).

Dans chaque ville, il s’agit de continuer à scruter les projets, analyser les informations, rejoindre des collectifs locaux via forum.technopolice.fr, pour s’organiser et mieux s’opposer à ces technologies, et mettre fin à ce système avant qu’il ne se généralise.

Les 22, 23 et 24 septembre se tient le festival Technopolice à Marseille, pour réfléchir ensemble à la manière de lutter contre ces dispositifs de surveillance. D’ici là, apportez votre soutien à la campagne !

  • [1] « La détection du maraudage consiste à ce que l’algorithme repère une personne statique pendant plus de 300 secondes dans un lieu à vocation de passage. »
  • [2] Il l’appelle « cher Guillaume », et termine ses lettres par « amicalement » dans les documents explicatifs du projet que nous avons pu récupérer à travers des demandes d’accès aux documents administratifs.