À l’aéroport de Lyon, Vinci banalise la reconnaissance faciale

L’expérimentation de reconnaissance faciale lancée la semaine dernière par Vinci Airports est un nouveau pas vers la banalisation des technologies de surveillance biométrique. Grâce aux financements de l’Etat et au soutien implicite de la Cnil, l’entreprise Idemia a pu déployer sans inquiétude son dispositif biométrique dans l’espace public. Nulle doute qu’elle et les autres entreprises de la Technopolice sauront en profiter.

Lundi 5 octobre, l’entreprise Vinci Airports a annoncé le lancement d’une expérimentation de reconnaissance faciale à l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry. Il s’agit d’un dispositif, disponible soit sur téléphone soit sur des bornes à l’aéroport, qui nécessite l’enregistrement en amont d’une photo de son visage et d’une pièce d’identité. Ensuite, la personne ayant créée son compte bénéficiera d’un parcours spécifique dans l’aéroport où elle n’aura plus besoin de sortir sa pièce d’identité ou sa carte d’embarquement. Tout se fera « par reconnaissance faciale », « sur simple présentation de son visage (…) depuis le dépôt de bagage jusqu’à l’embarquement » – l’objectif étant derrière de l’installer dans plusieurs aéroports.

C’est une nouvelle étape dans la banalisation de la reconnaissance faciale, et plus largement du contrôle social biométrique. Tout cela parce qu’une entreprise considère que, dans un aéroport, « l’un des stress possible (…) c’est les files d’attente ou la complexité de reconnaissance des documents ». On retrouve dans ce projet les mêmes idées de « fluidification » et de « facilitation d’accès » qui sont au coeur des projets de « Smart/Safe Cities », les mêmes arguments qui nous poussent à nous opposer à ces projets : un idéal de rationalisation et d’optimisation, un idéal d’algorithmisation complète de nos espaces urbains.

Les faux-débats de la reconnaissance faciale

Est aussi présente l’idée qu’il s’agirait d’une reconnaissance faciale « moins grave », car cantonnée à un aéroport plutôt que déployée dans la rue ; non basée sur l’identification (par exemple, le fait de retrouver une personne recherchée) mais sur l’authentification (confirmer qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être). Ces distinctions sont des faux-débat. Il n’existe pas de reconnaissance faciale moins grave qu’une autre. Qu’il s’agisse d’une reconnaissance faciale « en direct », ou « en différé », d’ « authentification » ou d’ « identification », dans un aéroport, ou dans la rue, il s’agit de la même technologie traitant ce que nous avons de plus intime, des mêmes algorithmes destinés à classés les individus, et bien souvent derrière de la même entreprise.

L’expérimentation de Lyon en est malheureusement un bon exemple. C’est Idemia, une entreprise au sein de laquelle est directement impliqué l’opérateur public BPI France, qui vend ici la technologie, la même entreprise qui s’occupe de Parafe, la même entreprise accusée par Amnesty d’avoir vendu en 2015 à la police à Shanghai un système d’identification faciale, la même qui propose un outil « Augmented Vision » pour utiliser les caméras de surveillance afin d’ « alerter le personnel de sécurité de la présence de personnes suspectes » grâce à la reconnaissance faciale.

Comment croire un seul instant que l’entreprise Idemia cloisonne ces activités, et que lui laisser tester ses technologies biométriques dans un aéroport ne lui servira pas à améliorer ses autres techniques de surveillance et à étendre son carnet de commandes ?

Soutien gouvernemental

Comme la plupart des dispositifs de la Technopolice, le système déployé à Lyon profite en outre d’un investissement de l’Etat. Ici c’est le programme « Vision Sûreté » qui vise à « promouvoir l’innovation en matière de sûreté afin d’en renforcer l’efficacité tout en renforçant la compétitivité des opérateurs ». Lancé en 2014, ce programme a permis à plusieurs entreprises privées d’expérimenter aux frais des finances publiques leurs dispositifs dans les aéroports (dont des scanners corporels). Relancé en 2018 pour 5 ans, la nouvelle partie du programme prévoit de favoriser « l’émergence des méthodes et/ou des technologies permettant une meilleure supervision en temps réel des opérations liées à la sûreté ». Aucun doute que les fonds publics interviendront encore pour faciliter le développement de nouvelles technologies de surveillance, se servant des aéroports comme il en a toujours été des lieux de frontières, c’est-à-dire comme des territoires propice à l’expérimentation du contrôle et de la répression.

La Cnil en renfort

Enfin, sur ce dossier, la Cnil fait encore preuve de sa complaisance envers les technologies de surveillance biométrique. Après avoir l’année dernière dessiné de molles « lignes rouges » sur le sujet, elle a publié le 9 octobre un communiqué pour rappeler les « enjeux » et « grands principes » à respecter pour déployer la reconnaissance faciale dans les aéroports. Elle y considère ainsi que « le recours à un dispositif de reconnaissance faciale pour fluidifier l’embarquement des passagers et ainsi éviter la formation de files d’attente pour des motifs de sécurité apparaît proportionné ». Comment concilier une telle communication avec celle sur les portiques d’accès aux lycées où l’autorité avait estimé que l’installation d’un portique de reconnaissance faciale « dans le seul but de fluidifier et de sécuriser les accès n’apparaît ni nécessaire, ni proportionné pour atteindre ces finalités » ?

Il est possible que, par ce communiqué, la Cnil n’ai pas souhaiter cautionner l’expérimentation de Vinci mais au contraire, recadrer l’entreprise et prévenir les dérives. Si c’est le cas, c’est d’une extrême maladresse, qui s’ajoute à l’attentisme coupable de l’institution dans nombre de dossiers touchant aux projets de Safe Cities. Car l’on peut être certain que ce communiqué sera interprété par les entreprises de surveillance comme une invitation à l’expérimentation de nouvelles technologies de surveillance.

Difficile d’ailleurs de ne pas lire ce communiqué en ayant en tête les Jeux Olympiques de 2024. Parler d’ « éviter la formation des files d’attente pour des motifs de sécurité » ne peut faire penser qu’au contrôle des stades pour les évènements sportifs, sujet où plusieurs entreprises veulent déjà se tailler une part de marché. L’autorité de protection de la vie privée vient de leur donner une nouvelle raison de se réjouir.